Sommeil, santé & bien-être
L’insomnie, le mal du siècle ?
Ouns
19 août 2021
Selon l’Association France Insomnie 30% à 40% des français en seraient victime. Affichée comme nouveau mal du siècle, sur un mode déclaratif, qu’en est-il vraiment ? Sommes-nous vraiment tous devenus insomniaques ? Le Dr. Attalin, médecin spécialiste du sommeil au CHU de Montpellier et à la Clinique Beau Soleil de Montpellier, également fondateur de la société Aviitam, rappelle que « l’insomnie concerne les personnes se plaignant d’avoir du mal à trouver le sommeil. Le problème doit être récurrent, c’est-à-dire se reproduire plusieurs fois par semaine et pendant un certain temps. On n’a pas une insomnie si en quelques nuits on retrouve le sommeil ».
Bien souvent, ce trouble peut s’associer à une réduction du temps de sommeil. Dans ce cas, l’insomnie pourrait bien être un mal du siècle, puisque d’après l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance, nous avons perdu 1h30 de sommeil en seulement 50 ans. Le verdict de toutes les études est sans appel: nous dormons de moins en moins, et « souvent, les personnes qui se plaignent d’insomnie trouvent que leur sommeil ne correspond pas à leur besoin », remarque le Dr. Attalin. Pour cause, la moyenne de la durée de sommeil n’est que de 6h48. Et cette réduction serait une conséquence directe de l’évolution de nos modes de vie. « Il y a quelques dizaines d’années, à l’époque où l’on travaillait avec un énorme effort physique, les personnes étaient plus fatiguées. Aujourd’hui, on est dans des sociétés où l’on prend les transports en commun ou la voiture. On marche peu et on a peu d’activité physique, donc le corps a beaucoup moins besoin de sommeil, souligne le spécialiste. On ne peut donc pas espérer dormir autant qu’il y a cent ans ».
Le sommeil, c’était mieux avant ?
Au fil des décennies, notre sommeil a été chamboulé par de nombreux facteurs, et parmi eux on retrouve notamment le travail. Il y a une centaine d’années, l’agriculture était bien plus généralisée, et « il est certain qu’avant, dans les champs non éclairés, ce travail extérieur dépendait essentiellement du lever et du coucher du soleil. On était totalement en phase avec le rythme extérieur aussi appelé circadien. Aujourd’hui, il arrive qu’on se lève alors qu’il fait encore nuit, et certains peuvent travailler toute la journée sans voir le soleil, et revenir chez eux le soir, alors qu’il fait nuit. On n’est plus en phase avec le monde extérieur, ce qui est pourtant l’idéal », constate le Docteur Attalin. Un décalage tel que notre mécanisme interne peut parfois en être déréglé car « on a deux rythmes dans notre corps. Le premier est l’homéostasie, que l’on peut imager comme un sac à dos de sommeil. Il va se remplir de la fatigue accumulée au fil de la journée et se vider quand on dort. Le deuxième est le rythme circadien, qui se base sur les signaux extérieurs, notamment la lumière. Quand on est à l’opposé de ces rythmes, il est bien plus difficile de trouver le sommeil, et cela peut donc provoquer une insomnie ».
Le travail dans les champs a progressivement laissé place à l’ère industrielle. Si elle a drastiquement modifié nos modes de production, c’est aussi une révolution pour nos nuits. A cette époque, les ouvriers travaillaient jusqu’à 12 ou 14 heures par jour. Une charge de travail telle, qu’un mouvement de revendication a vu le jour, demandant la division de la journée en 8 heures de travail, 8 heures de loisir et 8 heures de repos. En 1919,la loi des huit heure sa été adoptée. Un changement radical, qui a participé à transformer nos habitudes de sommeil. C’est d’ailleurs à partir de cette même époque que les premiers diagnostiques d’insomnie ont été répertoriés, et d’après l’historien Roger Ekirch, ce trouble du sommeil serait une conséquence de la généralisation des nuits de huit heures consécutives. Or aujourd’hui, nos modes de vie ont changé, on se fatigue moins physiquement, et la nuit de huit heures n’est plus forcément appropriée. « Il faut arrêter de vouloir dormir trop, mais aller au lit quand on a vraiment sommeil et se lever quand on n’a plus sommeil. Par contre, il faut se dépenser dans la journée pour créer ce besoin de sommeil », insiste le docteur Attalin.
Le rêve de l’homme-machine
La société de consommation, de rentabilité et de performance s’est elle aussi progressivement invitée dans nos nuits. Comme l’explique le docteur Attalin, « les personnes ne vivaient pas mieux avant, elles n’avaient pas une meilleure vie, mais il y avait moins de pression de performance au quotidien. Il est certain que le mode de vie occidental que l’on connaît aujourd’hui, avec une pression constante, est propice aux insomnies ». Or, on peut distinguer deux types d’insomnies. La première est celle du début de nuit, des insomnies d’endormissement. Le docteur Attalin souligne que « les gens qui ont ce type d’insomnie sont, dans la grande majorité des cas, des personnes anxieuses ou stressées. Ils ont une anxiété du lendemain. Or, ce n’est pas le manque de sommeil qui nous rend moins performant, c’est la peur de ne pas être performant par le sommeil qui va nous rendre moins performants. Pour ces gens, on va plutôt leur conseiller d’aller au lit quand ils sont vraiment fatigués ». Le deuxième type d’insomnie est celle de fin de nuit, de maintien de l’endormissement, ou de réveil précoce, « et dans ce cas-là, il faut se poser plusieurs questions, dont celle de savoir si un problème existe. Cela peut être une maladie du sommeil comme l’apnée du sommeil, ou des mouvements périodiques de jambes qui vont les réveiller. Mais l’immense majorité des gens qui vont se réveiller dans les nuits, sont des personnes qui n’ont pas le moral. Dans ces cas-là, il peut y avoir un problème de fond de dépression, de burn out, de grand stress au travail ou dans la vie. On est dans une société stressante, c’est certain, et peut être que les entreprises pourraient arrêter de mettre la pression sur les employés, mais c’est aussi aux employés de savoir dire stop, notamment aux écrans et de comprendre pourquoi ils n’arrivent pas à dormir », explique le spécialiste du sommeil.
Dans le sillage de cette société de consommation et de services, la révolution numérique a fait son nid. Avec elle, on les ordinateurs, smartphones, tablettes et autres se sont invités dans notre quotidien et notre chambre à coucher. Au point qu’il est presque devenu impossible de s’en passer, aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle. Mais comme le rappelle le Dr. Attalin, « nos écrans ont tendance à brouiller les pistes car ils utilisent la longueur d’onde du bleu, et le corps va interpréter cela comme la lumière du matin. Il va alors se mettre à sécréter des hormones, dont celle du réveil par exemple. Évidemment, on aura alors plus de mal à dormir ». C’est en partie pour cette raison qu’il est conseillé d’éviter les écrans au minimum deux heures avant le coucher. « On ne pourra pas faire machine arrière sur notre mode de vie. Mais, par exemple, nous avons créé un carnet de suivi des maladies chroniques et du mode de vie sur la plateforme Aviitam, explique le spécialiste. Elle analyse votre mode de vie selon quatre piliers : l’activité physique, l’alimentation, la gestion des émotions et le sommeil. Le but n’est pas de dire aux gens ce qu’il faut faire, mais essayer de comprendre pourquoi ils sont dans cet état-là, et pourquoi la conséquence de leur mode de vie est qu’ils n’arrivent pas à dormir. Puis on travaille avec eux sur cette cause l’insomnie qui n’est souvent qu’un symptôme de problèmes plus profonds ».
Si l’on dort moins, au fil des années, c’est peut-être bien parce que nos besoins de sommeil évoluent avec notre environnement et avec le temps. Le sommeil ne se dégrade pas forcément, mais s’adapte. « Ecoutez-vous ! », répète le Dr. Attalin. Si les problèmes persistent, il est toujours conseillé de consulter un médecin spécialiste du sommeil.
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