Culture sommeil
Quand les artistes repeignent le sommeil
Véronique Vigoureux-Robles
30 juillet 2021
Rêve, cauchemar, sieste, refuge, évasion, abandon, repos mérité et salvateur... le sommeil dans tous ses états inspire les artistes. Voici une courte sélection d’œuvres qui illustrent les expressions de ce moment toujours fragile.
Sommaire
Amour endormi, Le Caravage
Amour endormi, Le Caravage, 1608, huile sur toile, Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence (Italie).
Lorsque Michelangelo Merisi dit Le Caravage (1571-1610), artiste italien au tempérament passionné et impulsif, peint ce tableau, il est en exil à Malte, fuyant Rome où il a commis un meurtre et est condamné à mort par contumace.
L’abandon dans le sommeil
Ce tableau, commandé par frère Francesco dell’Antella, chevalier de l’Ordre, représente Cupidon, dieu de l’Amour dans la mythologie romaine, endormi, son corps baigné de lumière. Dans l’ombre, se dessinent ses ailes. Son bras gauche repose à terre avec son arc et ses flèches à la main, les attributs de Cupidon. Il est la dernière œuvre d’inspiration mythologique du Caravage et révèle sa maîtrise du clair-obscur.
Le Songe de Jacob, José de Ribera
Le Songe de Jacob, José de Ribera, 1639, huile sur toile, musée du Prado, Madrid, Espagne.
Peintre et graveur espagnol, né en 1591 à Xàtiva (province de Valence) et mort en 1652 à Naples, José de Ribera est l’un des représentants du ténébrisme et de l’école napolitaine.
Un épisode du livre de la Genèse
Cette œuvre fait référence au voyage de Jacob, fils d’Isaac et petit-fils d’Abraham, fuyant son frère Ésaü. Fatigué, Jacob s’endormit au bord du chemin, prenant une pierre pour oreiller, et fit un rêve: des anges montaient et descendaient par une échelle céleste tandis que, d’en haut, Dieu s’adressait à lui : « Je suis l’Éternel, le Dieu d’Abraham, ton père, et le Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta postérité… » (Genèse 28).
Un instant serein et apaisant
Contrairement à d’autres peintres, comme Gustave Doré ou Marc Chagall, qui représentent les anges, Ribera se concentre sur la figure robuste du patriarche qui repose sur la pierre et prend tout l’espace de la toile. Jacob apparaît comme un simple voyageur, recouvert de son manteau, paisiblement assoupi. Ce n’est que dans un second temps que l’on perçoit le défilé des créatures célestes qui se dissout dans la nuée blanche, au-dessus de la tête de Jacob, et envahit le ciel.
Le Cauchemar, Johann Heinrich Füssli
Le Cauchemar, Johann Heinrich Füssli, 1781, huile sur toile,Detroit Institute of Arts, Michigan, USA.
Peintre et écrivain britannique d’origine suisse (1741-1825), Johann Heinrich Füsslise démarque par son goût du mystique. Amateur de tératologie (sciences des monstres), il se crée un univers ésotérique et démoniaque et devient l’un des maîtres de l’Obscurantisme.
Rêve irrationnel et fantasmagorique
Dans ce tableau, le clair-obscur accentue la dimension cauchemardesque. La blancheur de la femme endormie, qui semble davantage évanouie, en proie à des cauchemars, contraste avec la noirceur des décors et des créatures démoniaques (un incube —démon qui veut abuser de sa proie—et un cheval fou aux yeux blancs).
Le Sommeil, Pierre Puvis de Chavannes
Le Sommeil, Pierre Puvis de Chavannes, 1867, huile sur toile, palais des Beaux-Arts de Lille, France.
Né en 1824 à Lyon et mort à Paris en 1898, Pierre Puvis de Chavannes est réputé pour ses grands décors muraux: au palais Longchamp à Marseille, à l’hôtel de ville de Paris et de Poitiers, à la Bibliothèque publique de Boston… Il est l’un des représentants de la peinture symboliste.
Travail partagé et repos mérité pris en commun
Pour ce tableau – considéré comme le premier tableau symboliste de la peinture française – Puvis de Chavannes s’est inspiré d’un vers de L’Énéide, du poète latin Virgile: « C’était le temps du premier repos pour les mortels accablés… ». Il illustre le repos de simples paysans, des moissonneurs qui viennent de faucher un champ de blé (premier plan). Tous les âges de la vie y sont représentés : une femme âgée, un vieil homme, une femme et son enfant, un homme et son fils. Tous baignant dans une atmosphère de torpeur, entre veille et endormissement.
Femme nue assise dans un fauteuil, Félix Vallotton
Femme nue assise dans un fauteuil, Félix Vallotton, 1987, huile sur carton marouflé surcontre plaqué, musée de Grenoble, France.
Peintre, graveur, illustrateur, sculpteur, critique d’art, romancier, Félix Vallotton (1865-1925) a peint plus de 1700 peintures, 250 gravures, des centaines d’illustrations, ainsi que des dessins, romans et pièces de théâtre.
Dans les années 1890, il se joint au groupe des Nabis avec Paul Sérusier, Émile Bernard, Maurice Denis, Pierre Bonnard et Édouard Vuillard, et fait partie des membres fondateurs du Salon d’Automne (1903).
Le sommeil refuge
Perspectives aplaties, cadrage serré, position rapprochée du fauteuil et du mur, dépouillement du lieu, couleurs réduites aux rouge, vert et jaune…, la femme nue et assoupie, en position assisse, prisonnière de l’espace, semble s’évader par sa position lascive. « Chez Vallotton, la lumière arrive en biais par rapport à l’orientation des fenêtres, l’éclairage des salles n’est pas naturel, analyse Guy Cogeval, historien de l’art et conservateur général du patrimoine. Le regard que l’on a sur un intérieur est toujours étrange. Les fauteuils et les canapés tiennent plus de place que les hommes et les femmes eux-mêmes. Les personnages semblent toujours naufragés dans leurs meubles ». (Extrait de « Félix Vallotton, Le Feu sous la glace », catalogue de l’exposition Grand Palais, 2013, éd. Musée d’Orsay).
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